Quand survient un incident [ Silvanus ]

Les allées s’étendaient à perte de vue. Voila longtemps qu’elle n’avait sillonné le marché sans y prendre elle-même part. En effet, de nouveaux commerçants s’étaient installés et les étales qu’elle ne reconnaissait point l’intriguaient aujourd’hui tout particulièrement. Des saveurs épicés aux parures colorées, son sens du détail et des affriolantes babioles s’en voyait ravi ! Alors qu’elle avançait, tentant de se frayer un chemin parmi la foule grandissante, elle s’arrêta un instant auprès d’un stand où de merveilleux perroquets s’époumonaient en insultant les passants. Imaginez un petit enfant qui aurait la gorge en feu, prenez un timbre un peu plus rauque de sa voix et vous obtiendrez à peu de choses près le son qui s’élevait de ces oiseaux. Beaucoup s’offusquèrent – ce qui valut des représailles à l’animalier – cependant, certains trouvèrent la chose amusante et s’approchèrent, ce que fit Ysalia. Ils étaient majestueux mais bien pâles dans leurs cages. Hélas, la vie est mal faite, on ne choisit pas toujours son destin et le plus fort est souvent le plus redoutable. Approchant ses doigts de l’un des animaux, elle faillit repartir sans celui-ci. Offrant un regard digne d’une maison hantée à l’infâme bête, elle se hâta en direction d’un stand qu’elle affectionnait tout particulièrement.

Là, des dizaines de bijoux étaient rois. Du plus petit anneau au plus imposant des colliers. Une paire de boucles d’oreilles attira son attention bien qu’elle ne pouvait se permettre de futiles dépenses. Non loin, elle reconnut des bracelets similaires à celui qu’avait voulu lui offrir son ancien promis, haussant les épaules, elle avait pourtant celui-ci autour du poignet. La route avait du être périlleuse et longue pour qu’il l’acquiert, ainsi, si sa notion du respect est quelque peu scrupuleuse, la donzelle n’avait pu se résoudre à le jeter au coin d’une ruelle sombre pour que d’autres s’offrent à manger en retour. Plongées dans ses souvenirs, elle ne remarqua point le chien qui se faufilait entre ses jambes parti à la poursuite d’un pauvre chat errant. Un enfant savourait goulument un gâteau aux senteurs d’ailleurs que sa grand-mère était fière d’avoir pu lui payer mais finalement, ce qui tira l’effrontée de son esprit faisait des pirouettes et donnait une représentation en plein cœur du marché sur une place dont elle avait oublié le nom.

L’homme portait la barbe longue et agitait un bâton pour que le singe qui l’accompagnait se démène et amuse la galerie. L’animal ne semblait guère contrarié car il poussait des cris hystériques et se bombait fièrement le torse lorsqu’on l’applaudissait. La médecin s’avança, intriguée. Son visage lui était connu, il n’était pas de ceux qui l’avaient jadis épaulé, pourtant, elle se sentait à l’aise, loin du bruit indécent des marchands et proche des joies futiles d’un simple spectacle ambulant. Malheureusement, les choses n’étaient pas là pour durer car un adolescent imprudent s’avançait déjà, happant la queue du singe qui hurla fortement. Le forain se mit en rogne et cela provoqua la panique parmi la foule. En effet, il pointait déjà un couteau sous la gorge de l’écervelé grand enfant. On pouvait remarquer que du sang perlait déjà au niveau de l’épaule du minot, un coup porté à l’instant et désormais la gorge…Quelqu’un interviendrait-il car Ysalia, en toute demoiselle respectable, ne faisait point le poids.

Les civilités et convenances n’étaient plus ce qu’elles étaient. Pour provoquer pareil esclandre, Ysalia aurait subi remontrances et hostilités de la part des siens mais aujourd’hui, il ne s’agissait que d’un adolescent bien niais et d’un dresseur colérique. La foule semblait apprécier le spectacle, un peu de piment parmi toutes ces âmes plus ou moins braves. La demoiselle, par contre, trouvait cette attitude déplorable. Le gamin était idiot et le dresseur encore plus. On ne touche pas lorsqu’on ne connaît pas, il s’y était risqué et y perdrait sûrement quelques bouts de peau. Si elle savait réparer cela, elle ne pouvait venir en aide à la conscience humaine. De plus, si elle attendait que quelqu’un intervienne, ce ne serait point elle. D’une, son gabarit ne le supporterait pas et de deux, elle n’était pas la Justicière qui hante chaque coin de rue et punit toutes les injustices.

Ainsi, elle se trouvait assez près pour voir perler la sueur sur le front du malheureux mais pas assez pour sentir l’odeur pestilentielle émanant des tréfonds des vêtements de l’artiste ambulant. Beaucoup s’éloignèrent par peur de représailles à leur encontre mais de valeureux téméraires jouaient des coudes pour mieux observer les faits et la suite de leur déroulement. Bientôt, une voix s’éleva, un homme à ses côtés venait d’ouvrir la bouche, il se réjouissait de la tournure des évènements. Jetant un coup d’œil dans sa direction car il venait de s’adresser à sa personne, elle ne trouva aucun mot assez fort pour le qualifier. Se jouait-il d’elle ou était-il sérieux ? A en croire le ton employé, il appréciait les choses. Ysalia, secouant les épaules lui répondit à son tour.

« Je tiens le pari que s’ils ne le découpe pas en fines lamelles, la garde risque fort d’intervenir. Hélas, si cette dernière rapplique, adieu la tranquillité aujourd’hui. »

Personne ne s’avançait, ils laissaient les choses poindre. Agacée par pareille flegme et peur des résidents de la placette, elle approcha des deux acteurs pour prendre part au spectacle. Désarmée, elle posa cependant sa sacoche au sol car celle-ci contenait de quoi soigner le jeune blessé. Son caractère droit l’obligeait à intervenir. Si la vie du jeune lui importait, le dresseur n’était pas très fairplay, ce n’était qu’un enfant. De ce fait, elle s’adressa à celui-ci, une vague idée en tête.

« [color=darkblue]Tu sais l’ami, ce n’est pas cet enfant qui a choisi de faire ça, on l’a payé pour s’en prendre à ton singe. En fait, il y a quelqu’un de plus malin que toi ici et c’est…Lui[/color] », ajouta-t-elle en désignant l’homme qui venait de lui parler juste quelques minutes auparavant.

« Je te propose donc de laisser cet adolescent stupide et de t’en prendre au réel commanditaire de l’interruption de ton spectacle. Ah, et moi, je ne suis que le messager donc on ne m’attaque pas non plus. »

Désormais, les yeux se tournèrent vers Silvanus, si Ysalia pouvait être naïve, elle n’avait pas choisi l’homme par hasard, il semblait robuste et participerait ainsi au spectacle qu’il trouvait délicieusement appétissant.