Comment se faire arnaquer [ Vladimir ]

Après tout, qu’avait-elle à craindre ? De telles questions ne devraient traverser l’esprit de la jeune femme, jamais. Quelques heures auparavant, Ysalia avait reçu un messager la pressant de rejoindre les hautes sphères de Salte et de traverser la muraille séparant son humble monde de celui des Quartiers Est. Rares étaient ses interventions en ces lieux, cependant, elle s’en voyait toujours fortement récompensée. Oubliant sa quête d’herbes médicinales, elle s’enquit de sa sacoche contenant ses instruments habituels, attrapa un manteau qui la couvrait assez pour que l’air extérieur ne soit trop menaçant à son goût et suivit l’honnête homme. Leur marche dura un petit moment mais pas assez pour que la médecin se rende compte qu’ils avaient accompli un périple. Ses pieds ne lui faisaient guère mal et, de toute façon, elle ne s’en serait point plainte. Le soleil commençait à décliner au loin mais il lui restait une bonne heure pour tenter de briller du plus fort qu’il pouvait encore. Bientôt, ils approchèrent de la muraille et comme à son habitude, la donzelle oublia s’effaça de leur chemin pour se soumettre au décor, elle appréciait les lieux mais se demandait toujours comment on pouvait imaginer pareille architecture, il fallait être doué d’un pouvoir exceptionnel d’inventivité pour dresser de telles tours ou de telles lucarnes aux formes abstraites. Son guide bifurqua bientôt et il s’arrêta devant une immense bâtisse aux volets clairs. De là, la dame ne voyait pas grand-chose mais, alors qu’elle attendait son interlocuteur qui était rentré chez ses maîtres, une surprise de taille l’attendait lorsqu’il repassa le pas de la porte.

« Pardonnez-moi Mademoiselle, la Maîtresse n’a plus besoin de vous, son mal semble s’être envolé aussi subitement qu’il est venu. Elle vous offre ses respectables salutations en échange de votre généreux déplacement. Excusez-moi mais je dois retourner à mes occupations, bonsoir. »

Trop étonnée pour digérer ce genre d’informations, Ysalia prit quelques secondes pour recouvrer ses esprits. Elle n’hurla point sur le domestique mais alors qu’il retournait dans la demeure, elle attrapa son bras, ce dernier, pensant qu’elle désirait poser une question attendit un instant, cette seconde de trop lui valut une gifle en plein visage.

« Ca, Monsieur, c’est pour votre stupidité. Vous vous faites utiliser comme un pantin, moi, au moins, j’ai droit aux salutations ! »

Et elle s’en fut. Enervée, enragée, colérique et vexée, elle ne démordait pas pensant même orchestrer une consultation amère à l’attention de cette charogne de « maîtresse » mais son esprit rationnel lui interdit pareille ineptie. Elle n’était rien ici, un pantin elle aussi comme elle avait qualifié l’autre. Une fin d’après-midi de gâchée, voila où elle en était ! De plus, son estomac criait famine et sa fierté en avait pris un coup. Elle aurait très bien pu vaquer à des occupations plus fructifiantes telles que renflouer son stock de remèdes, hélas, les crédules sont toujours les perdants. On ne l’y reprendrait pas…Ou si, sa rancune n’a d’égale que son don pour se plaindre, ils n’existent pas. Mais tandis qu’elle zigzaguait parmi les avenues aux larges allées et aux briques brillantes de propreté elle se rendit soudain compte qu’elle ne connaissait pas la direction à emprunter. Une fontaine se trouvait là, quelques personnes se déplaçaient en calèche, d’autres sortaient de l’une d’entre elle, de belles dames se promenaient, pouffant à gorges déployées, penchées vers leurs amies et se chuchotant quelques ragots sucrés. Seulement, à l’instant même, elle était perdue. Posant sa sacoche sur le rebord de la fontaine, elle regarda l’allée qui la précédait d’un air désespéré. S’asseyant en tailleur sur celle-ci, elle paraissait dépassée dans ce lieu de grande prestance.

« J’aurai mieux fait de penser à mon repas qu’à ma bourse aujourd’hui », marmonna-t-elle dans sa barbe inexistante.